Quelques éléments pour une historique de la pensée systémique. Une amorce de discussion…

 Au XVlIe siècle : le monde est un système clos

Nous pouvons dire que c’est au début du XVIIe siècle qu’apparaît ce qu’on a appelé, par la suite, la systémique de première génération. C’est une systémique s’occupant surtout de systèmes clos, de systèmes matériels. On commençait à peine à expérimenter sérieusement. Jusque-là, le monde scientifique était peuplé par les philosophes de la nature qui théorisaient et par les expérimentateurs. Ces derniers n’avaient pas droit de cité dans les universités, ils étaient considérés plus comme des artisans habiles que comme de véritables savants. Nous pouvons voir un modèle de ces géniaux artisans en Léonard de Vinci qui imagina, au siècle précédent, le roulement à billes, le scaphandre, le sous-marin, l’hélicoptère, le parachute, la scie hydraulique, l’automobile, etc.

Galilée et la renonciation

« Et pourtant, elle tourne. » Galilée (phrase murmurée après avoir abjuré sa théorie démontrant que c ‘est la Terre qui tourne autour du Soleil)

C’est avec Galilée, né à Pise en 1564, 45 ans après la mort de Léonard, qu’est véritablement née la science moderne. Au XVIIe siècle, par certains côtés, on avait pris ses distances avec Aristote. Cette fois, il s’agissait de comprendre les lois mathématiques qui sous-tendaient les phénomènes de la nature et pas seulement leur observation méthodique.

En 1632 Galilée fut jugé par l’Inquisition et condamné à la prison à vie en 1633, après avoir renié ses convictions scientifiques. Entre autres il dut renoncer à affirmer que la terre tourne sur elle-même. Ce jugement de l’Inquisition contre Galilée ne rut annulé qu’en 1992.

D’une certaine manière, Galilée n’eut pas les moyens de s’opposer, ni de se faire comprendre et renonça face à l’Église. Les découvertes scientifiques n’avaient pas le champ libre et devaient se conformer au dogme dominant.

Descartes : l’âme et la machine

« Je ne connais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que /es effets des machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir que/que proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voit; au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. » René Descartes

Nous l’avons vu : pendant tout le moyen âge, la pensée fut dominée par la religion consolidée par la pensée d’Aristote. Pour simplifier les choses, disons que Descartes voulut retrouver la pureté de la religion en la séparant de la doctrine aristotélicienne qui était fausse à ses yeux. Le projet de Descartes était de dissocier la scolastique de la religion.

Le dualisme cartésien

Descartes proposait une vision du monde clairement dualiste. Il distinguait le corps construit à la manière d’une machine, matériel, divisible et l’esprit pensant, libre, un et indivisible.

Le corps est un automate semblable à une horloge obéissant aux lois de la mécanique. Le vivant est une horloge et Dieu en est l’horloger.

« … et jugeons que le corps d’un homme vivant diffère autant de celui d’un homme mort que fait une montre, ou autre automate (c’est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu’elle est montée et qu’elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre, ou autre machine, lorsqu’elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d’agir. » Descartes, « Traité des passions de l’âme »

La grande question qui reste en suspens est comment deux substances si différentes peuvent-elles interagir?… Selon Descartes, c’est la glande pinéale qui aurait une fonction de transmetteur, un intermédiaire reliant Pâme avec le corps.

Avec ces préalables, Descartes a proposé sa « méthode » pour aborder la compréhension de la réalité.

La méthode cartésienne

Les quatre préceptes du Discours de la Méthode ou les fondements de la Règle du Jeu :

La nouvelle vision du monde que nous propose Descartes est une méthode

rationnelle et pragmatique. Elle élimine, avec son modèle de l’horloge, tout ce qui n’est pas quantifîable. Il n’y a pas de place pour l’intuition, pour ce qui n’est pas matériel. Comme me répondait un de mes professeurs de biologie lorsque, après sa brillante démonstration du fonctionnement d’une cellule présentée comme une petite usine, je lui demandai : « Qu ‘est-ce qui fait que ce soif vivant ? » Il me répondit : « Cette question n ‘est pas scientifique. Il faudrait la poser à un religieux ou à un philosophe, pas à un biologiste. » Bigre ! La biologie est la science de la vie si je me fie à son étymologie et on ne peut pas lui poser la première question qui vient à l’esprit : «Qu’est-ce que la vie ? » Ah, c’est vrai que c’est du domaine de l’horloger et non de l’horloge. Donc, ma question n’était, par définition, pas scientifique.

Ce qui est scientifique doit répondre aux critères que Descartes a définis dans son « Discours de la Méthode ». Ces préceptes sont :

L’évidence : « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. »

La divisibilité : « Le second, de diviser chacune des difficultés que /’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. »

La sommativité : « Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. »

La permanence : « Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »

Comme pour Aristote, des générations de penseurs se sont (et continuent à le faire) affichés comme disciples de Descartes. Mais que nous apprend notre monde actuel sur cette démarche et sur la validité universelle de ses postulats ?

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle… » Qui peut prétendre, aujourd’hui, savoir être « évidemment vraie » n’importe quelle affirmation ou n’importe quelle information ? Même les images qui nous sont proposées à titre d’information, filmées ou télévisées sont sujettes à caution. Il apparaît plutôt que nous vivons dans un monde d’incertitude ou nos convictions d’hier sont remplacées par d’autres aujourd’hui qui seront à leur tour balayées demain… Ce que nous n’osions rêver hier se trouve, aujourd’hui, être notre quotidien. Et ce dont nous étions si certains, en économie, en politique ou en science, disparaît à jamais ; il suffit pour s’en convaincre de relire les œuvres des futurologues des vingt dernières années. Dans nos différentes interactions nous avons bien trop tendance à considérer les choses comme « évidemment vraies » sans prendre la peine de les approfondir : « Il n’est pas d’accord avec nous parce qu’il est nul. », « C’est tous des voleurs. », « Ça ne changera jamais. », « Ils sont tous pareils. » Nous prenons facilement pour des faits des généralisation qui ne sont, au mieux, que des suppositions.

« Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. » Diviser en parcelles… Bien souvent l’expérience démontre qu’on ne fait que compliquer davantage encore le problème, puisqu’en le décomposant on va se trouver devant une telle masse d’informations qu’il deviendra difficile de les réintégrer par la suite. Jusqu’où aller dans la division ?… Quelles parties seront pertinentes et lesquelles ne le seront pas pour la résolution d’un problème ?… Qui décidera de la pertinence des divisions ?…

« Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés… » C’est le même principe que de penser la réalité comme un mur de briques qu’il suffit de décomposer jusqu’à ses éléments constituants pour comprendre le tout après avoir compris chaque partie. Est-ce qu’on arrivera à comprendre le fonctionnement d’une organisation en comprenant le fonctionnement de chaque service ?… Le fonctionnement d’une équipe en comprenant les caractéristiques de chaque équipier ? Le fonctionnement de l’être humain en comprenant le fonctionnement de chacun de ses organes ?… Est-ce qu’on comprendra le fonctionnement de l’univers en comprenant le fonctionnement de la particule ?… Pendant des années on l’a cru et on continue à le croire ; pourtant la réalité, à chacun de ces niveaux, nous affirme quotidiennement le contraire. Il paraît évident qu’on ne peut, en aucune façon, comprendre le tout par la simple addition de ses parties. C’est faire fi de toutes les interactions, de tous les liens d’énergie, de matière, d’information qui lient les éléments les uns aux autres.

« Et le dernier, défaire partout des dénombrements si entiers, et des revues si généra/es, que je fusse assuré de ne rien omettre. » Sans doute une idée fort honnête en 1636 où on pouvait très sérieusement penser qu’un homme était en mesure, avec un minimum d’instruction, de connaître tout ce qu’il était possible de savoir sur le monde d’alors. C’était l’époque d’un monde fini et d’une connaissance limitée, une vie pouvait se borner à l’horizon du village… Aujourd’hui, à l’ère de la complexité et des attracteurs étranges de la théorie du chaos, qui peut prétendre faire des dénombrements, dans n’importe quelle discipline ou au sujet de n’importe quel problème, en étant « assuré de ne rien omettre » ? Quelles décisions prendrait-on si on voulait, auparavant, prendre en compte la totalité des informations disponibles ?

Force nous est de constater les limites d’une forme de pensée qui a, sans doute, marqué toute une époque de l’histoire de l’homme.

Vraisemblablement, c’était de cet outil là que l’on avait besoin pour construire la civilisation occidentale telle que nous l’avons à présent exportée dans le monde entier. Mais cet outil est aujourd’hui insuffisant. La physique de Newton n’a pas été rejetée par la découverte de la relativité, elle en est devenue une partie tout à fait pertinente pour rendre compte des faits dont elle s’occupe. Le granit de la logique cartésienne suit le même chemin et tend, au fur et à mesure que nous nous confrontons à des problèmes en apparence insolubles, à laisser la place à une logique plus souple, plus adaptable, plus ouverte, en un mot plus fluide : la pensée systémique.

Extrait de « Relation d’aide et coaching systémique – Module 3 » Albino Amato

C’est cette forme de pensée que nous explorerons dans nos prochaines rencontres…


Commentaire

La pensée systémique — Pas de commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *