AccueilPensée systémiqueUn historique de la pensée systémique (suite)…

Le commencement : une petite poignée de gens hors du commun

« Le point de vue systémique… représente un nouveau « paradigme » dans la pensée scientifique (selon l’expression de Thomas Kuhn), a pour conséquence que le concept de système peut se définir et se développer de différentes manière, selon les objectifs de la recherche et selon les aspects divers de la notion que l’on désire refléter. » Ludwig von Bertalanffy

À partir des années 30, une poignée d’hommes de génie, de personnalités hors du commun, va jeter les bases d’une révolution conceptuelle. L’histoire retiendra deux principaux piliers autour desquels s’articulèrent rapidement d’autres personnalités d’envergure : Ludwig von BERTALANFFY et Norbert WIENER.

Un biologiste hors du commun : Ludwig von Bertalanffy

Ludwig von BERTALANFFY (1901 – 1972) postule la nécessité d’une théorie générale des systèmes ou d’une théorie du système général. Pour lui, tout est système.

Son projet était de dégager des principes généraux qui s’appliquent à tout système (organismes, processus mentaux, groupes humains, ensembles biologiques…)

Biologiste de formation, il introduit en 1937 le concept de « système ouvert ».

Le concept de système ouvert vient en opposition au concept de système fermé de la physique conventionnelle. Ce dernier étant étudié isolé de son environnement. Le concept de système fermé peut s’appliquer assez facilement au domaine matériel, mais dès qu’on aborde le monde du vivant, apparaît la nécessité de comprendre la dynamique particulière des systèmes ouverts.

Une des singularités d’un système ouvert est l’équifinalité. Dans un système fermé, l’état final est déterminé par les conditions initiales, ce qui n’est pas le cas dans les systèmes ouverts où un même état final peut être atteint en partant de conditions initiales différentes ou par des voies différentes.

Une autre particularité est la contradiction qu’il y a entre la loi de dissipation en physique, selon le second principe de la thermodynamique et la loi de l’évolution en biologie. Scion la premiere, tout va vers un désordre croissant alors que selon la seconde, le monde du vivant montre une évolution vers un ordre croissant et une auto-organisation.

Bertalanffy fonde en 1954 la Société pour l’étude du Système Général avec, pour principal objectif, de rechercher les concepts isomorphes, afin de promouvoir l’unité de la science en permettant une meilleure communication entre les différentes disciplines.

Le tout et les parties

En biologiste, Ludwig von Bertalanffy proposa un axiome postulant qu’un être vivant n’est pas l’ensemble de ses éléments. Si je démonte quelque chose en ses parties constituantes et que je cherche ensuite à la remonter, avec une horloge je peux le faire, avec un chat, non. Bertalanffy exposa alors la première définition de ce qu’est la systémique, il dit qu’un système est un « Tout » et qu’un « Tout » est différent de la somme de ses parties. Si je veux construire une cloison, et que je pose dix

briques de dix centimètres chacune, j’aurai une hauteur de 1 mètre : je peux additionner mes briques. Si je mets ensemble dix personnes et que chacune est capable de produire, par exemple, 10 unités en fin de journée ; il est peu probable que j’obtienne cent pièces en fin de journée. Si les gens s’encouragent les uns les autres, on pourra se retrouver avec 150 pièces, on parlera alors de synergie positive. Mais si ces personnes n’arrivent pas à s’entendre ou s’il y a des conflits internes, on se retrouvera avec 60 pièces au lieu de cent. On parlera alors de synergie négative. Bertalanffy proposa donc la définition du système qui est : « un ensemble d’éléments en interaction et qui dure dans le temps ».

Les trois aspects du nouveau paradigme

Pour Bertalanffy, on peut distinguer trois aspects dans ce nouveau paradigme :

Un premier aspect correspondrait à l’étude et la théorisation des systèmes dans les différentes sciences et constituerait une science des systèmes. Son objet serait l’identification des correspondances et des aspects généraux communs aux systèmes. Une étude scientifique des totalités et qui fonderait une théorie générale des systèmes.

Un second aspect pouvant être nommé une technologie des systèmes qui permettrait d’apporter une réponse scientifique et raisonnée à des problèmes qui présenteraient un nombre important de variables à prendre en compte. Autrement dit pratiquement tous les problèmes majeurs qui se posent à l’humanité d’aujourd’hui : pollution, économie, mondialisation, démographie, politique… Ce deuxième aspect qui pourrait être nommé « Théorie générale du Système-Univers » selon l’expression de Jean Louis LE MOIGNE se veut résolument positiviste avec pour objectif d’atteindre à des énoncés que les scientifiques pourraient imposer aux politiques.

Un troisième aspect correspondrait à l’élaboration d’une philosophie des systèmes, qui aurait comme finalité, selon Bertalanffy « La réorientation de la pensée et de la vision du monde issue de l’introduction du concept de « système » comme nouveau paradigme scientifique (au contraire du paradigme analytique, mécaniste et mono-causal de la science classique). »

« Ce souci humaniste de la théorie générale des systèmes telle que je la comprends, la différencie de cette théorie mécaniste des systèmes qui ne parle qu’en termes de mathématiques, de rétroaction et de technologie, faisant naître la crainte que cette théorie des systèmes ne soit en fait la dernière étape vers la mécanisation et la dégradation de l’homme, vers la société technocratique. »

Un ingénieur hors du commun : Norbert Wiener

Il y a un autre grand-père de la systémique, Norbert Wiener, une sorte de génie polyvalent. Il savait lire couramment à un an et demi. Il n’avait pratiquement pas suivi le cursus ordinaire de la scolarité, terminant ses études primaires à la maison, mais était sans doute un des grands penseurs de l’époque. Il entra à l’université à 11 ans pour y étudier les mathématiques et à 18 ans obtint son doctorat.

Naissance d’une nouvelle science : la cybernétique

Au moment de la dernière guerre mondiale, les Américains se sont trouvés confrontés à un problème vital. Les Allemands disposaient d’une puissance militaire beaucoup plus efficace que celle des Alliés. Cette puissance était due en grande partie à l’aviation. Si on compare l’aviation de la première guerre mondiale avec celle de la seconde, on passe des avions biplans genre Breguet ou Fokker du baron rouge volant à 185 km/h aux Potez, Spitfire et surtout aux Messerschmitt et FW Focke-Wulf volant à plus de 600 km/h. On peut imaginer que pendant la Première Guerre, une fois la bataille engagée entre l’aviation et les défenseurs au sol, les avions arrivaient au maximum à 180 km/h et, en bas, des batteries antiaériennes les attendaient et tentaient de les éliminer avant qu’ils ne larguent leurs bombes. Le duel se déroulait à peu près à armes égales. Une fois c’était l’un qui gagnait et la fois suivante, l’autre. L’adresse, la ruse de l’homme, avaient encore une part à jouer.

Au moment de la Deuxième Guerre, les avions volaient quatre fois plus vite et étaient beaucoup plus maniables. Il se trouve que sur le plan aérien, les nazis disposaient de l’équipement le plus performant et très probablement cela allait les amener à gagner la guerre. Pour répondre le plus rapidement à ce problème, une des solutions était de faire en sorte que les batteries antiaériennes soient, pour le moins, aussi performantes que les avions.

Wiener était de nature pacifiste et avait, de ce fait, refusé de participer au projet Manhattan de développement de la bombe nucléaire. Mais ne pouvant accepter que les nazis gagnent la guerre faute de trouver en face des moyens techniques suffisamment efficaces, Wiener accepta de travailler pour des recherches balistiques et à la mise au point des batteries antiaériennes. Ce que Wiener découvrit, au fil de ses études, c’est que plus les canons pouvaient bouger rapidement et de manière fluide, plus il leur arrivait d’avoir des comportements imprévisibles. Quand une machine devient très sophistiquée, elle peut faire preuve de comportements qu’on ne peut pas prédire. Et il apparut à Wiener que ces types de réactions ressemblaient, par certains côtés, à des comportements humains. Avec les humains on a parfois des comportements logiques, mais aussi parfois des comportements qu’on ne peut expliquer avec une logique simple.

Une équipe pluridisciplinaire

Wiener, dans son équipe, n’avait pas recruté que des techniciens et des ingénieurs, comme Julian Bigelow, mais aussi des neurophysiologistes comme Arturo Rosenblueth et Warren McCulloch. Wiener, à la fois ingénieur et philosophe, s’est rendu compte de l’importance de la communication, aussi bien pour le bon fonctionnement des machines (principe de rétroaction dont nous parlerons un peu plus tard) que pour le bon fonctionnement des relations humaines.

Travaillant sur des machines de guerre, il ne pouvait éviter de penser à ce qui produisait un conflit et à songer aux façons de l’éviter. 11 voyait la communication comme un moyen pour établir une transparence de l’information qui serait un rempart contre la barbarie. Le moyen d’éviter les secrets et les silences qui permettent les génocides, les totalitarismes, les mensonges d’état, la démagogie et la prise de

pouvoir de la part de malades mentaux devenus experts en manipulation.

Les bases de cette forme de communication ont été posées dans une nouvelle science que Wiener nomma Cybernétique, du mot grec kubernêtikê qui désignait le pilotage d’un navire. Il en développa les principes dans son ouvrage Cybemetics or Control and Communication in the Animal and the Machine paru en 1948.

Le nom de Norbert Wiener et assez peu connu par le grand public, pourtant il a bouleversé de manière très importante notre monde quotidien. Pour établir une bonne communication, Wiener proposa de prêter attention aux boucles de rétroaction. Ce principe, appliqué aux machines, fait que nous lui devons, entre autres, les thermostats de nos radiateurs. Un thermostat est un appareil qui prend en compte la température d’un lieu, transmet cette information à une chaudière qui se met en marche si la température descend en deçà d’un certain niveau prédéterminé ou éteint la chaudière si la température monte au-delà de la limite souhaitée.

Une boucle de ce type se produit en chacun de nous quand nous faisons le geste très simple de remplir un verre d’eau à un robinet. Nous prenons en compte le niveau de l’eau dans le verre pour déterminer une plus ou moins grande ouverture du robinet. Au fur et à mesure que le verre se remplit, nous resserrons le robinet jusqu’à stopper l’arrivée d’eau au moment où le verre est plein.

Aujourd’hui, on pourrait définir la cybernétique comme « la science des processus de commande et de communication chez l’être vivant, dans les machines et dans les systèmes sociologiques et économiques ».


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